Les Husainides

Après avoir mis fin à la dynastie mouradite en 1702, Ibrahim Chérif, qui avait pris le titre de bey, chercha en vain à restaurer la domination turque : trois ans plus tard, il fut renversé par l'armée d'Alger. Al-Husayn ben Ali (Hussein Ier), un kouloughli, membre important de la classe dirigeante, prit alors le pouvoir  : il prit le titre de bey et, après s’être libéré de ses adversaires et des envahisseurs algériens, fonda la dynastie husseinite, monarchie héréditaire qui régna jusqu'à l'instauration du protectorat français en 1881 : après cette date et jusqu'à la proclamation de l'indépendance (1956), elle n'eut plus qu'une valeur symbolique. Al-Husayn ben Ali concentra le pouvoir entre ses mains, avec le soutien des janissaires, des mamelouks et des notables locaux. Dans le même temps, il conserva les institutions traditionnelles en les contrôlant (comme le dey et le divan), tout en reconnaissant la suzeraineté nominale du sultan. Il promut une série de réformes destinées à donner la stabilité au pays et à rompre de lien avec le pouvoir ottoman. Dans le domaine économique, il favorisa le production et le commerce, mais adopta aussi des mesures qui encourageaient le commerce européen, comme la mushtara. En 1735, le premier bey husseinite fut renversé par son neveu Ali Pacha (Ali Ier) car il avait été exclu de la succession au profit du fils d'Al-Hussayn, Mohammed Rachid. Celui-ci, après s’être réfugié en Algérie avec son frère Ali II, rentra en Tunisie et, profitant des luttes entre Ali Pacha et son fils, pris le pouvoir en 1756. Trois ans plus tard, son frère Ali II lui succéda, suivi par son fils aîné Hammouda Pacha, qui comme son père assura la stabilité à la Tunisie. Le nouveau bey continua la politique d'Al-Hussay, réduisit l'influence turque (en supprimant les janissaires) et réussit à se libérer de la présence algérienne.

Le pays était caractérisé par une certaine homogénéité culturelle : l'arabe et le sunnisme malakite dominaient. La vie des communautés rurales, composées surtout de tribus, connut peu de changements, parmi lesquels la fin du pouvoir des grandes tribus, mais des transformations importantes eurent lieu dans les villes. Les influences andalouse et ottomane se firent sentir dans différents domaines  comme l'architecture, la musique, l'alimentation, dès le XVIIe siècle à Tunis. Les influences européennes se perçurent, et de façon plus profonde, au XIXe siècle.  

Ce siècle coïncida avec la période de l'expansion européenne, qui changea radicalement la situation politique et sociale de la Tunisie, devenue le centre des intérêts politiques et commerciaux de pays comme l'Italie, l'Angleterre et la France.

En 1816, le bey de Tunis souscrivit avec la Grande Bretagne, et par la suite avec d'autres états, l'engagement, réaffirmé en 1830, de mettre fin au commerce des esclaves et à la piraterie. La Tunisie se trouva privée de deux très importantes sources de revenus.

Le bey husseinite, contraint à négocier avec les puissances européennes et à accepter leurs exigences, dut rapidement affronter les conditions financières très critiques du pays : elles étaient causées par la politique peu clairvoyante du bey, par l'augmentation des taxes et par l'ingérence étrangère dans l'économie tunisienne, et pesaient lourdement sur les sujets, dont le mécontentement débouchait souvent sur des révoltes.

Parallèlement, la France augmenta sa présence au Maghreb après son installation en Algérie en 1830. L'empire ottoman s'installa à Tripoli en 1835. Devant cette situation préoccupante, le bey de Tunis, Ahmad Bey (1837- 1855), entreprit une politique de réformes inspirée des modèles occidentaux, pour  renforcer la structure de l'état et en défendre l'indépendance face aux puissances européennes. Il organisa l'armée selon l'exemple français et avec l'appui de la France. En 1840, pour la formation des officiers, il institua l’École Polytechnique du Bardo, et, en 1846, il abolit l'esclavage dans la Régence. Il suspendit ses rapports avec l'empire ottoman et favorisa les relations politiques et diplomatiques avec les pays européens, dont la France.

Son successeur, Muhammad Bey, mena la saison des réformes en promulguant, le 9 septembre 1857, le Pacte Fondamental, qui devait garantir la sécurité pour la vie et les propriétés des habitants de la Régence, l'égalité devant la loi et le fisc, et la liberté religieuse. La Constitution, promulguée le 21 janvier 1861 par Muhammad al-Sadik Bey (1859-1882), réduisait le pouvoir du bey et de ses ministres et établissait un régime politique fondé sur la division des pouvoirs : l'exécutif restait aux mains du bey et de ses ministres, le pouvoir législatif était confié à une assemblée (Grand Conseil) et le pouvoir judiciaire aux tribunaux avec des juges inamovibles.             

Dans le même temps, le dettes contractées envers les créditeurs étrangers pour mettre en œuvre les réformes aggravèrent une situation financière déjà difficile depuis le début du siècle.

En 1864, le bey dut imposer une pression fiscale excessive, pour faire face à la situation de crise, et une révolte générale éclata : la répression qui suivit amena l'effondrement du pays.

La dynastie husseinite, ne pouvant satisfaire ses créditeurs, dut déclarer banqueroute (1868) : une commission internationale, composée de la France, de la Grande Bretagne et de l'Italie, reçut en 1869 le mandat de contrôler les finances du pays, ce qui accentua les ingérences étrangères dans le pays.

Bien que suspendu en 1864, le mouvement réformateur tunisien continua sa politique démocratique. Son dirigeant Khaïr Al Din Pacha s'inspirait du modèle politique européen, fondé sur la liberté et la justice, pour sortir de la crise profonde causé par le pouvoir absolu. Son programme de réformes concernait la réorganisation administrative, l'assainissement financier, et d'importantes interventions dans les secteurs de l'agriculture et de l'artisanat. Considérant en outre qu'il était nécessaire pour le développement du pays de moderniser l'enseignement, deux ans après sa nomination comme premier ministre, en 1875, il fonda le collège Sadiki, ouvert aux enseignants étrangers, où, en plus de l'instruction religieuse, étaient aussi enseignées les sciences humaines et les langues étrangères. Il favorisa le lien entre les mouvements réformiste et nationaliste qui se créa immédiatement après l'instauration du protectorat.

Avec la chute de Khaïr Al Din (1877), le pays se retrouva dans une situation très difficile, dont la France profita. Lors du Congrès de Berlin (1878),  les grandes puissances lui laissèrent le champ libre pour imposer son contrôle sur la Tunisie. En 1881, les problèmes à la frontière entre la Tunisie et l'Algérie offrirent aux français l'occasion d'intervenir militairement en Tunisie, où, avec le Traité de protectorat (12 mai 1881), ils débutèrent la période d'impérialisme colonial.  

Six souverains se succédèrent pendant le protectorat, après Sadik Bey : Ali III (1882-1902), Hédi Bey (1902-1906), Naceur Bey (1906-1922), Habib Bey (1922-1929), Ahmed II Bey (1929-1942), Moncef Bey (1942-1943), Lamine Bey jusqu'en 1956, année de l'indépendance, et donc de la fin de la dynastie des beys.